jeudi 25 juillet 2013

Sur BELA (SACD) /// Métiers du spectacle vivant : Emile Lansman, l’entremetteur en scène

Il est 19h30, les cigales se sont tues dans le jardin perché du théâtre des Doms. La dernière rencontre d’Emile Lansman (les Apéros d’Emile & Cie) avait pourtant commencé sous les chhchhchh (et je m’étais juré que, cette fois, je capterais ce moment précis où elles cesseraient de chanter)(et puis je me suis fait avoir)(comme d’habitude). Il y a du monde pour ce dernier clap, dans le public et à la table des invités: Jean-Yves Picq (auteur et nouvel ancien Directeur du Conservatoire d’Avignon), Christine Delmotte (auteure, metteuse en scène et professeur au Conservatoire de Bruxelles), Frédéric Dussenne (metteur en scène et professeur au Conservatoire de Mons), Emile Zeizig (directeur de Mascarilles et des Journées de Lyon), Matéi Visniec (auteur), Marilyn Perreault (auteure et metteuse en scène). Emile est à l’aise dans l’exercice de l’animation de rencontres, en chemise rouge et chaussettes-sandales, le micro comme une greffe naturelle dans lequel il pose ses questions depuis le public, sans chichis et parce que ça l’intéresse vraiment.

Il est 19h30, Emile Lansman nous accorde quelques minutes pour parler de son métier, après, il doit faire sa valise: le festival Textes en l’air de Saint-Antoine-l’Abbaye l’attend.


Comment Emile Lansman promotionne ses auteurs à Avignon?

Je ne promotionne pas tel ou tel auteur. Ce qui est important, c’est que la maison soit présente et qu’à travers elle, les auteurs soient présents. On parle autant ici d’auteurs qui ont une actualité à Avignon ou qui y sont simplement de passage que d’autres. Je ne pense pas qu’on réussit des coups avec une action, c’est en traversant un certain nombre de manifestations qu’à un moment on se dit: tiens, un éditeur est là! Il a un catalogue. Il a l’air d’avoir des auteurs intéressants. Si les auteurs se lèvent et parlent, se font connaître, là, on fait vraiment une bonne promotion d’auteur. Pas d’une de ses pièces, mais de l’auteur lui-même. La rencontre permet de se dire: il ou elle dit des choses intéressantes: est-ce qu’on peut lire ce qu’il ou elle a écrit? C’est une tactique à long terme et pas spécifiquement sur telle ou telle oeuvre. Ceci dit, quand même, je porte un regard particulier sur les pièces qui sont montées. J’apporte une aide, je réalise un document sur lequel ces pièces sont mentionnées. Je signale que ce texte a été publié chez nous. Je n’ai pas tout vu: avant de faire des recommandations sur le spectacle entier, c’est une découverte. C’est la première chose que je fais en arrivant: je vais voir les spectacles dont les textes ont été édités chez nous.

La deuxième façon de faire, c’est d’impliquer les auteurs dans des rencontres. Dans mes apéros, dans des rencontres thématiques. Ça fait quelques années que, sans en avoir l’air, on place des pions selon les disponibilités des auteurs. Je n’ai pas les moyens de les faire venir à Avignon mais s’ils sont là, j’essaie de les intégrer dans des événements. C’est une chaîne. Céline Delbecq était dans une lecture, on a profité de sa présence dans cette lecture pour l’inviter à un apéro mais aussi lui faire rencontrer d’autres personnes. C’est ma manière à moi, qui est toujours un peu brouillonne et en même temps, je pense, relativement efficace parce qu’elle vise à la fois l’humain et l’artistique, et le long terme.


C’est une expérience que tu as acquise au fil des années… Ce n’est pas ton premier Avignon! Il y a aussi les librairies: deux bibliothèques dans la librairie du IN, l’Espace 40…

C’est mon trente-septième Avignon! J’ai aidé à mettre en place l’Espace 40 sur une initiative de la Manufacture mais je ne veux pas accaparer tout non plus. Maintenant, c’est Espace Livres et Création qui gère le lieu. Que mes livres y soient présents est important, mais je trouve que c’est important aussi qu’ils soient présents dans l’ensemble des librairies d’Avignon. Parfois, il y a des effets pervers: les libraires se disent que si j’ai ma librairie, il n’y a pas de raison pour qu’ils prennent encore mes livres. Il faut mesurer, travailler en partenariat. Les libraires d’Avignon, que ce soit la librairie théâtrale qui se trouve à la rue de la bonnetterie, la Chartreuse, les Doms ou que ce soit la librairie du Festival, ce sont des gens qui depuis de nombreuses années essaient de valoriser nos textes. Pour moi, c’est très important. J’ai toujours été adversaire de la devise: pas très haut mais tout seul! On est présents et je trouve ça extraordinaire de le faire dans un partenariat, dans une certaine ambiance. Cette année, aux Doms, pour moi, ça a roulé parce que je sentais que ce que je faisais était apprécié et inversement, j’étais content de le faire ici. Les rapports qu’on a avec la Manufacture c’est un peu pareil. Ce que j’aime, c’est faire partie d’un puzzle. Ça ne m’intéresse pas d’être la pièce isolée sur la table.


Ton métier ce n’est pas que fabriquer des livres et les diffuser, c’est aussi la prise de parole, l’aspect humain. As-tu toujours eu ces deux facettes professionnelles?

Je suis devenu éditeur par hasard. L’édition, c’est ma danseuse. Je paie pour être éditeur, soyons clairs. Je me considère autant animateur qu’éditeur. Et – c’est sans doute prétentieux de le dire – mais relativement bon animateur de rencontres, pour les concevoir, créer les panels. Tout ça est au même niveau que l’éditeur. Je suis aussi content et je me sens même plus professionnel en le faisant que comme éditeur. Christian Duchange a dit que j’étais un entremetteur en scène. J’aime vraiment la formule, je l’ai adoptée! C’est complètement moi: entremetteur. Et puis, savoir se retirer sur la pointe des pieds quand on a créé le contact. C’est parfois par l’édition, mais c’est aussi par le voyagement. Ma chance, c’est de voyager depuis longtemps et d’être un peu partout, je rentre du Mexique, je pars au Québec et dans les régions de France. Je suis une pièce du puzzle quelque part. Indispensable pour achever le puzzle et finalement très humble: pour faire un puzzle, il faut beaucoup de pièces. Il y a un côté affectif que j’aime beaucoup dans ce type de relations.


Est-ce que tu peux me parler de l’avenir des éditions Lansman ?

L’avenir, il est dans le passé puisque, en fait, on a changé de structure. Fin 2011, la structure Lansman éditeur en tant qu’indépendant est morte. Tout cela est passé dans une ASBL que j’ai créée avec des amis, avec des gens compétents je pense, qui s’appelle Emilie et Cie. Cette ASBL a aujourd’hui deux fonctions, deux casquettes si on veut, la maison d’édition qui reste ce qu’elle est mais qui n’est pas coupée des autres activités, les autres activités étant des activités de consultance, de conseil, d’élaboration de projets, de réalisations de journées professionnelles, ou de temps professionnels. Et là ça va plutôt bien, puisqu’on vient de prendre la coordination de la commission internationale du théâtre francophone, que je suis conseiller permanent au Tarmac à Paris, que je suis présent dans plusieurs festivals, que le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris souhaite aussi qu’on travaille avec eux. Tout cela a un effet d’absorption de mon temps, donc je suis moins disponible, mais comme l’argent qui est donné pour mener ces missions ne va pas chez moi mais va à l’ASBL, il va permettre de pouvoir continuer à gérer l’édition. Voire à le faire mieux, puisque j’ai l’espoir de pouvoir engager tôt ou tard quelqu’un qui va venir renforcer l’équipe – surtout avec Caroline Cullus qui est maintenant gestionnaire de la maison.

Donc, pour l’instant, il n’y a pas grand-chose qui change. On va « nettoyer » (sans sens péjoratif) notre catalogue. On a 960 livres maintenant, ce qui est trop à gérer, on va donc abandonner du catalogue, peut-être en les transformant en numérique, un certain nombre de titres. Ceux qui étaient des éléments d’un parcours où on n’a pas continué avec l’auteur, ou ceux dont on ne sait même plus qui est l’auteur, où il est, etc., l’auteur lui-même n’écrivant plus… On doit pouvoir faire de la place pour de nouvelles générations. Il est clair qu’aujourd’hui, je prendrais plutôt des nouveaux auteurs que des auteurs qui ont déjà un lourd passé d’auteur, parce que ceux-là, je ne peux plus les absorber. Par contre, les jeunes qui arrivent, je peux leur servir de courte échelle, en espérant qu’après, ils vont trouver de la place chez d’autres éditeurs, si je ne continue pas avec eux. Si on regarde le catalogue depuis deux ans, on retrouve assez bien ça. De nouveaux noms apparaissent, et je reste bien évidemment sur ma ligne : les Belges sont prioritaires oui, mais ils restent quand même minoritaires dans un catalogue qui se tourne résolument vers la francophonie.

A retrouver sur BELA, 24 juillet 2012  http://blog.bela.be/?p=1790

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